Les techniques utilisées par les spéléologues pour franchir les obstacles verticaux, n'ont pas cessés d'évoluer depuis le début de ce siecle [1] [2] . Ces évolutions ont été motivées par les difficultés rencontrées pour explorer les grands gouffres. Il a fallu trouver des méthodes permettant de réduire le poids du matériel et les efforts de progression, avec le souci constant de continuer à progresser en sécurité.
Certains groupes de spéléologues ont été des précurseurs pour ces nouvelles techniques, mais beaucoup sont tombés dans l'oubli, faute de publications.
Ainsi les bloqueurs mécaniques pour remonter sur cordes lisses étaient déjà connus en 1934, Pierre Chevalier, Fernand Petzl et Charles Petit-Didier ont utilisés ceux de Henri Brenot pour explorer la Dent de Crolles [3] sans devoir laisser un équipier en haut de chaque puits pour l'assurance, La Dent de Crolles est ainsi devenue le gouffre le plus profond du monde. Ils utilisaient également la technique de rappel d'échelles pour diminuer le nombre d'échelles à emporter.
Toutes ces techniques sont retombées dans l'oubli, et les explorations du gouffre Berger 20 ans plus tard se sont faites sur corde fixe avec un spéléo en attente en haut de chaque puits [4] .
Il faudra attendre la publication d'un livre sur les techniques spéléo, pour que la méthode de remontée sur corde simple (Méthode DED) soit enfin transmise à l'ensemble des spéléologues. Ce livre [5] à été écrit par des spéléologues du Groupe spéléo de La Tronche (FLT), ils faisaient partie du Spéléo-club de la Seine avant de s'installer autour de Grenoble pour pratiquer leur activité favorite.
Dans un ouvrage consacré aux techniques de la spéléologie alpine, le lieu n'est pas de remonter jusqu'aux origines de la spéléologie elle-même. En effet, l'évolution rapide des techniques, conjointement à l'ère des incursions profondes dans les cavités, n'a guère débuté en France que lors des années 40.
Les explorations importantes étaient alors le fait de grands clubs organisés, la plupart sous l'égide du CAF, tel le Spéléo Club de Paris. Les grandes expéditions se déroulaient au cours de camps d'été importants, avec de gros moyens en hommes et en matériel, voire l'appui de l'Armée. La " méthode De Joly" était encore appliquée les descentes s'effectuaient à l'échelle, un équipier restait à chaque relais pour l'assurance, ou bien des équipes de soutien s'étageaient dans les puits pour aider à la remontée des hommes et du matériel. Les grandes cavités voyaient s'étirer de longues colonnes de spéléos lourdement chargés (Padirac, Gournier). Une seule innovation à noter le premier camp souterrain voyait le jour - si l'on peut dire - à la Henne Morte.
Parallèlement à ces expéditions, qui ne faisaient donc pratiquement qu'utiliser à plus grande échelle des matériels et des méthodes connus et utilisés depuis longtemps, un type d'exploration tout à fait nouveau apparaissait dans la région grenobloise, grâce à l'apport de l'alpinisme Pierre Chevalier, à la tète d'une petite équipe de copains, où se distinguaient particulièrement Fernand Petzl et Charly Petit-Didier, s'attaquait au gigantesque réseau du Glaz, lors d'expéditions de week-end. Le rappel sur corde nylon à double était substitué aux descentes à l'échelle et la remontée s'effectuait avec assurance du bas sur poulie pour le premier, qui assurait ensuite les autres.
Les équipes étaient légères, donc mobiles, et tous les hommes descendaient au fond l'ère des équipiers sacrifiés en relais semblait révolue. Enfin, les premières varappes systématiques sous terre étaient effectuées, et le premier mât d'escalade utilisé.
L'équipe du Glaz avait donc découvert et mis en pratique les grands principes de la spéléologie moderne. Pourtant, l'exemple de ces précurseurs ne devait pratique ment pas être suivi; et la spéléologie allait rester pour longtemps encore dans l'ornière des vieilles techniques et le train-train des anciennes habitudes.
Au début des années 50, lorsque la Pierre-Saint-Martin et le Berger sont découverts, débute justement la période des grandes expéditions himalayennes. Confrontés aux nouveaux problèmes que posent les gouffres géants, les spéléos adoptent tout naturellement la même solution que les montagnards expéditions lourdes, camps successifs, "sherpas ", équipes nombreuses. Cinquante participants se lancent à l'assaut du gouffre Berger, au cours d'une expédition internationale. La force collective est préférée à la technicité individuelle. A la Pierre-Saint-Martin, le camp souterrain est installé au bas du premier puits, et certains explorateurs ne sont même que des spéléologues très occasionnels.
La relève va venir de la base. Un peu partout en France ont en effet surgi des clubs régionaux, actifs à longueur d'année, mais dotés d'effectifs réduits. Loin d'être un handicap, ce dernier caractère va au contraire se révèler être facteur de progrès puissant. Effectivement, peu nombreux mais confrontés aux difficultés des cavités de montagne, les spéléos alpins sont contraints de ruser avec la caverne. Ne disposant plus d'équipes suffisantes, ils abandonnent la technique du " rouleau compresseur" utilisée jusqu'alors, pour des tactiques plus évoluées. Petit à petit, ils se rendent compte que, dans une exploration, l'élément le plus riche en progrès potentiels est finalement le spéléo lui-même, dans la mesure ou, accroissant sa technicité personnelle, il peut pallier la faiblesse des effectifs en allant plus loin ou plus bas, dans les mêmes conditions de temps et de fatigue. Cette conception va s'avérer beaucoup plus féconde que la précédente le spéléo n'est plus un simple rouage anonyme de la machine conçue pour vaincre la caverne. Il ne descend plus sur une décision prise par d'autres, en utilisant des équipements que d'autres ont réalisés, pour aller chercher des sacs de matériel que d'autres ont amené là. Réalisant successivement l'équipement, l'exploration et le déséquipement, le spéléo apprend plus vite à être sous terre dans son élément, à développer son sens de la caverne, à savoir réagir en face d'une situation donnée,
prévisible ou non. C'est donc un important facteur de sécurité. De plus, c'est également un facteur de progrès ultérieurs, plus rapides, puisque le spéléo aura désormais une vue synthétique des cavités et des explorations, donc des problèmes posés.
La spéléo des années 60 va bénéficier de cette prise de conscience fondamentale. On pratique alors couramment dans les Alpes les équipes semi-légêres de quatre hommes, autonomes, réalisant des incursions rapides. Le GSV (Groupe Spéléologique Valentinois), conditionné par le problème de la Luire, a été à l'origine de ce mouvement; c'est également à ce club que l'on doit la première utilisation du spit sous terre. Le Spéléo-Club de Savoie, au Biolet, pratique également des techniques analogues* : descente en rappel montagne, remontée du premier au jumar . L'autoassurance, déjà imaginée par Brénot, est née.
Loin de là, dans les Pyrénées, quelques francs-tireurs (Joîfre, Lafranque), pratiquent une méthode bien différente rappel d'échelle, rappel de corde, descente et remontée à l'échelle - parfois sans assurance. Cette technique leur permet de s attaquer en week-end à des cavités relativement importantes (gouffre de Bassia).
A partir de 1963, l'apparition du matériel mis au point par Dressler, moderne De Joly, va faire faire à la technique spéléo un nouveau bond le bloqueur, puis le descendeur, font leur apparition. Les Tritons profitent les premiers de cette innovation ils explorent désormais par équipes légères de trois hommes, la descente s'effectuant au descendeur sur corde simple, et la remontée en auto-assurance pour tous les équipiers (Scialet de la Nymphe, Scialet Moussu). Cette méthode s'est peu à peu généralisée dans les Alpes.
Si, dès cette époque, la panoplie du spéléologue est presque au complet, son matériel personnel n'a par contre que fort peu évolué. C'est à ce problème que s attaque alors en particulier le Spéléo-Club de la Seine mettre au point un équipement fonctionnel, complet et confortable. Une idée-force a dirigé cette recherche le spéléo ne doit plus utiliser les matériels conçus pour d'autres sports, donc forcément inadaptés, mais créer les siens propres, en fonction de ses besoins. Ce principe de base, simple mais pourtant original en spéléo, porte bientôt ses fruits la combinaison imperméable, les sacs en Texair, la combinaison en Rexotherm, les gants PVC à manchette, etc., font leur apparition et se diffusent rapidement.
Depuis 1966 nous avons personnellement cherché à réaliser une synthèse des méthodes modernes, et à mettre au point des techniques rapides et souples, pouvant s'adapter à chaque type de cavité. Nous avons entrepris systématiquement l'exploration des grands gouffres en week-end (Puits Francis, Réseau Ded, gouffre Berger,..), avec des équipes légères de deux ou deux fois deux, Enfin, nous nous efforçons d'essayer toutes les méthodes originales et de multiplier les essais de matériels nouveaux.
Les techniques que nous présentons peuvent et doivent encore évoluer: l'avenir est aux petites équipes, bien entraînées, mordantes, et d'un haut niveau technique. Munies d'un matériel de plus en plus adapté, rapides, donc minimisant leur fatigue, elle peuvent réellement dominer la caverne, et non plus la subir.
Cette orientation nouvelle qui s'est fait jour semble riche de promesses. Pour ce qui concerne au moins la spéléologie d'exploration, elle paraît bien définitive.
* et bien d'autres clubs qui ne peuvent tous être cités.
Entre les premières lignes de cet ouvrage et son achèvement, trois années se sont écoulées. Entre-temps, les techniques modernes d'exploration se sont répandues. Descendeur et autoassurance sont couramment utilisés, malgré les cris d'alarme lancés par certains spéléos rétrogrades. Plutôt que d'en chercher l'utilisation la plus rationnelle et la plus sûre, ils ont préféré les condamner en bloc. Chaque accident leur est prétexte pour dénoncer leur danger, ceci au mépris des statistiques, qui prouvent exactement le contraire:
Séduit par les avantages indéniables de ces méthodes, mais conscients aussi des risques qui pourraient résulter de leur mauvaise utilisation ou de leur méconnais sance, nous avons préféré étudier les moyens de les rendre toujours plus sûres:
équipements sans frottement, méthode de dégagement, équipement personnel adapté, condition physique suffisante.
Cet ouvrage est la somme de nos recherches en ce domaine, de celles aussi de nos collègues qui nous ont fait part de leurs essais.
Il ne prétend pas présenter un panorama complet des techniques de la spéléologie, là n'était pas notre but. Nous avons voulu décrire les techniques modernes à ceux qui les connaissent mal et à ceux qui les critiquent sans les connaître. Nous espérons avoir convaincu le lecteur prudent ou conservateur que des explorations, impensables hier, sont maintenant réalisables sans être périlleuses. Mais nous avons cherché aussi à montrer aux fonceurs qu'il serait dangereux de pratiquer ces techniques sans les maîtriser vraiment (tout comme les anciennes méthodes d'ailleurs).
Ainsi armés, nous espérons que les jeunes se lanceront dans des expéditions toujours plus audacieuses. Qu'ils ne tombent toutefois pas dans l'excès, consistant à descendre sous terre pour "faire un temps ", imitant par là ceux qui font passer l'exploit sportif et la publicité qui l'entoure avant la connaissance du réseau.
Pratiquées par un plus grand nombre, ces méthodes vont évoluer. D'autres techniques plus efficaces, que nous n'imaginons encore pas, les supplanteront à leur tour, pour le profit de tous : le rappel de cordelette voit déjà le jour.
Souhaitons en fin de compte que ce livre soit rapidement dépassé.
* Sur 38 accidents répertoriés en dix ans, 26 se sont produits de 1962 à 1966, 13 de 1966 à 1971
Parmi ces accidents, 9 sont dus à de mauvais amarrages ou à des équipements défectueux, 4 de 1962 à 1966, 5 de 1966 à 1971 (nombre stationnaire).
Douze autres sont imputables à une absence ou une insuffisance de l'assurance, dont 10 de 1962 à 1966 contre 2 de 1967 à 1971
Cette diminution importante durant la période où 'autoassurance s'est développée, prouve que cette technique, loin d'être dangereuse, est plus efficace, et qu'elle incite les spéléos à s'assurer plus systématiquement, parce qu'elle est d'un emploi plus souple.
(Les autres causes d'accidents sont: les éboulements (6), l'épuisement (6), leserreurs de débutants (3), les crues (2).
Six années d'exploration au sein des divers clubs, ont permis de modifier, d'améliorer et enfin de mettre au point cette méthode
DECOUVERTE ET EXPLORATION
Puits de l'Echo (CLT) - 390 (1966)
Puits Francis (FLT) - 688 (1967)
Gouffre Roland (FLT) - 481 (1969)
Gouffre Lonné Peyret (FLT) - 717 (1970-1971)
Gouffre de Génieux (ASA) - 675 (1972)
REPRISE D'EXPLORATION
Grotte de Bury (FLT) - 352, 3000 m (1966)
Grotte de Gournier (SCS) + 220, 8 000 m (1966)
Gouffre Berger (SCS, FLT) - 1141 (1968)
Réseau Ded (FLT) - 780 (1968 et 1970)
Réseau P14-Diau (ASA) - 400 (1972)
PARTICIPATION A DES EXPLORATIONS
Gouffre Jean BERNARD (Vulcains) - 650 (1970)
Gouffre DUPONT-MARTIN (SCOZ) - 360 (1971)
Fin de l'extrait
Henri Brenot : Le singe (premier bloqueur sur corde lisse, 1934)
Pierre Allain : La veste en duvet (1931), le descendeur (1943, avant c'était le rappel au corps), le chausson d'escalade(1935), le mousqueton en aliage léger et asymétrique (1933, il les fabrique en 1963)
Bruno Dressler : Bloqueur spéléo, descendeur en S, descendeur autoblocant [6] .
Fernand et paul Petzl : Industrialisation de la fabrication du matériel spéléo.
[1] "Comment on descend sous terre : Manuel du spéléologue" de Robert de Joly (1929)
[2] "Spéléologie, Le matériel et son emploi, les explorations" de Henry P. Guérin (1944)
[3] "Escalades souterraines" de Pierre Chevalier (1948)
[4] "Opération -1000" de Jean Cadoux, Jean Lavigne, Géo Mathieu, Louis Potié (1955)
[5] "Techniques de la Spéléologie Alpine" de Jean Claude Dobrilla et George Marbach (1973)
[6] "La spéléo" de Bruno Dressler et Pierre Minvielle (1979)
[7] "Techniques de la Spéléologie Alpine (2ème édition)" de George Marbach et Jean Louis Rocourt(1986)